Aujourd’hui c’est
samedi. Et le samedi, soit tu sors de garde à vue, soit tu lis « La
petite histoire de l’Histoire ».
Comme moi j’ai renoncé
à tout financement libyen (merde ! En fait j’aurais peut-être
du dire oui…), j’ai le plaisir de vous présenter l’épisode n°
87 consacré au premier roi de Patagonie qui figure toi était
français !
Alors normalement, la
Patagonie ça doit t’évoquer au minimum Florent Pagny, voir si tu
vas un peu plus loin Pékin Express et Ushuaia. Mais c’est aussi
une région magnifique, sauvage et loin… très loin.
Comment un mec né en
Dordogne a-t-il pu finir roi là bas ? Eh bien monte dans la
machine à remonter le temps et je vais t’expliquer ça trankil à
la fraîche.
Mes petits amis du 21e
siècle, direction l’année 1878, le 17 septembre pour être
précis : Allez, c’est parti !
La fin d’un
rêve :
Lorsque nous débarquons
dans cette petite boucherie de Tourtoirac en Dordogne, ce n’est pas
vraiment la fête. On va dire que l’ambiance se situe juste entre
celle d’un meeting de François Fillon et celle d’un goûter d’anniversaire avec Christine Angot comme animatrice. Ca te situe le niveau.
Et c’est normal, car
l’homme que nous sommes venus voir, Antoine de Tounens, est en
train de mourir dans un lit modeste, loin des richesses et de la
gloire dont il avait rêvé pour son royaume. Celui que l’on
appelle Orelie-Antoine 1er nous demande d’une voix
faible de nous approcher. Son oncle qui l’héberge depuis deux ans
nous fait un signe de la tête, nous signifiant que nous pouvons
accéder à la demande du mourant. Ce dernier s’adresse à nous
dans un patois périgourdin oublié depuis longtemps :
« Wesh comment
j’chuis vénère de finir comme ça. L’archeum sur moi frère, je
devrais être posey, à la bien, à chiller entre deux zouzes bien
fraîches, le uc sur mon trône, et j’chuis là à crever dans une
boucherie, j’ai le sheitan sérieux »
Son oncle se penche vers
nous pour traduire :
« Antoine dit qu’en
tant que roi légitime d’Araucanie-Patagonie, il regrette de ne pas
rendre son dernier souffle sur ses terres, accompagné des gens qui
l’aime. »
Ah ok.
Mais alors, pourquoi
Antoine n’est plus le boss en son royaume ? Et d’où tu sors
mec ?
C’est vrai ça,
qui es-tu Antoine ?
Le petit Antoine Toulens
voit le jour le 12 mai 1825 à Chourgnac en Dordogne, tout près
d’Excideuil, mon village « natal » ! Il est issu
d’une famille nombreuse (il est le 9e enfant) qui
travaille la terre et qui a un peu d’argent de côté. Tout petit,
il est bercé par la légende familiale qui veut que le papa descende
d’une lignée royale par un ancêtre questeur romain. Et ça, ça
lui tourne la tête à Antoine.
Plutôt intelligent, et
grâce au pécule parental, il peut faire des études, allant même
jusqu’à décrocher son bac. Après ça, il s’installe à
Périgueux, où il achète une charge d’avoué (juriste).
Entre temps, le père
d’Antoine a obtenu de la justice le droit d’ajouter une particule
à son nom de famille, grâce à des actes civils du 18e
siècle où elle apparaissait bien. Voilà donc notre Antoine « anobli »
d’un seul coup et qui peut se faire désormais appeler « De
Toulens »
En 1857, Antoine, qui a
le projet de créer un royaume de « Nouvelle-France »,
vend sa charge d’avoué et contracte un prêt à la banque. Grâce
à cette somme, il peut monter son expédition et s’embarque pour
le Chili où il arrive en 1858, avec dans ses valises, un sceau
officiel, un drapeau bleu-blanc-vert, une constitution en 70 articles et des pesos
frappés à son effigie !
Rapidement, il rencontre
le chef des Indiens Mapuches, alors en guerre contre le Chili. Coup
de bol du destin, une vieille prophétie mapuche indiquait qu’un homme blanc viendrait sauver les Indiens. Ceux-ci accordent donc à
Antoine un droit de passage sur leurs terres et apportent leur
soutient à cet étranger venu fonder un royaume salvateur face à
l’oppresseur chilien.
Et ainsi, avec l’aide
des tribus Mapuches, Antoine de Tounens parvient à réaliser son
rêve : il proclame le Royaume d’Araucanie le 17 novembre
1860 ! Elu roi par les chefs mapuches sous le nom
d’Orélie-antoine 1er, il est au paroxysme de sa gloire…
mais il ne le sait pas encore !
Trois jours plus tard, il
décide d’annexer à ses terres la vaste Patagonie.
Antoine applique sa
constitution, nomme un gouvernement et agit comme un souverain. Il
rêve même de mettre sur pied une liaison maritime entre son royaume
et Bordeaux afin d’exploiter les ressources locales, riches en
étain et en argent. Seulement, tu t’en doutes, ça ne plait pas des
masses à l’Argentine et au Chili qui ont officiellement autorité
sur ces terres.
Et là, retour à la
réalité pour Antoine de Tounens ! Il demande tout d’abord de
l’aide à ses voisins, l’Empire du Brésil et à au Paraguay,
mais ces deux états refusent poliment. Il essaie alors du côté de
la mère patrie, la France… Mais sans succès également !
Napoléon III, au pouvoir, ne veut surtout pas se mêler de la
politique sud-américaine.
Les troupes armées
chiliennes et argentines marchent sur l’Araucanie en novembre 1861
et foutent une grosse branlée à Antoine de Toulens. En décembre de
la même année, c’est la débandade totale, le royaume est conquis
dans sa quasi-totalité. Le 5 janvier 1862, Antoine est fait
prisonnier au Chili, puis interné en asile. C’est la fin du
royaume d’Araucanie-Patagonie après seulement 1 an, 1 mois et 19
jours d’existence. Les pauvres Indiens Mapuche, vont subir de plein
fouet la répression pour avoir soutenu ce projet complètement fou.
Antoine au milieu de ses troupes |
Le gouvernement français
intervient par l’intermédiaire du consul local, et Antoine de
Toulens est libéré. Il revient sur le territoire national en 1862,
où il s’installe à Paris. Sauf qu’il n’a pas trop compris ce
qu’il s’était passé… Il constitue une nouvelle cour, et
attribue à tour de bras des titres de noblesse que personne ne
reconnaît juridiquement !
Un poil têtu, Antoine
tente par trois fois de retourner dans son royaume pour reconquérir
le pouvoir, en 1869, 1874 et 1876… et connaît trois échecs
cuisants.
Après sa dernière
déconvenue, il tombe gravement malade, et ruiné, il est hébergé
chez son oncle à Tourtoirac où il mourra le 19 septembre 1878 à 53
ans.
L’histoire ne s’arrête
pas là cependant, puisque le titre de roi d’Araucanie-Patagonie
est transmis tout d’abord au neveu d’Antoine, mais celui-ci
refuse la charge et désigne à son tour un autre aventurier qui a
bien connu Antoine : Achille Laviarde, qui devient roi sous le
nom d’Achille 1er. Bien entendu, il n’est roi de rien
du tout puisque le royaume n’existe plus et que personne ne
reconnaît juridiquement cette maison royale issue des rêves de
gloire d’un jeune homme ambitieux !
Antoine IV, dernier roi
en date d’Araucanie-Patagonie étant décédé en décembre
dernier, le conseil de régence avait ouvert les candidatures à la
succession. Si tu avais toujours rêvé d’être roi, c’était le
moment ! Mais la date limite de dépôt des candidatures était
fixée au 24 janvier dernier. Fin du suspens ce jour, puisque le
nouveau roi être désigné aujourd’hui 24 mars !
Au-delà de l’aspect
romanesque de cette histoire, sache qu’aujourd’hui, le Royaume
d’Araucanie-Patagonie est reconnu comme une ONG par l’ONU et ses
membres tiennent régulièrement tribune à Genève pour défendre
les droits des Indiens Mapuches, les soutenant également
financièrement.
Si tu as apprécié ce
voyage à la rencontre d’un homme qui rêva d’être roi :
aime, commente, partage ! Et rendez-vous le mois prochain pour
une nouvelle chronique. Et j’aurais du lourd. Du très très
lourd !
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